Je tourne la tête vers la fenêtre ouverte

passeurs d’histoires

Pendant le confinement, les acteurs et actrices du théâtre action continuent à raconter des histoires, à partir d’objets de leur quotidien.

Vous les trouverez sur ce site, et sur la page Facebook du Centre du Théâtre Action.

Bons voyages immobiles!

Présentation

Je suis dans une belle maison, avec un jardin, de l’espace, du silence et du confort. Je suis avec ma famille, ma compagne, mes enfants. Nous avons à boire, à manger, on se fait plaisir. En plus, la météo est splendide. Je passe énormément de temps avec mes enfants, c’est le bonheur. L’impression d’être mort et d’être au paradis. Revivre inlassablement les mêmes belles journées. Je suis heureux. Du moins, ça en a tout l’air.

Mon travail me manque, retrouver les gens en atelier, faire du théâtre avec eux. Je ne peux m’empêcher de penser aux personnes qui ne vivent pas nécessairement dans une belle maison, avec un jardin, de l’espace, du silence et du confort. Parfois sans famille, sans compagne, sans compagnon, sans enfants.

Le téléphone posé sur la table, je suis devant mon écran d’ordinateur : derniers moyens de rester en contact avec les gens, sans les voir, les toucher, ni leur leur parler directement. L’absolu contraire de ma vie « d’avant le virus ». Je tourne la tête vers la fenêtre ouverte d’où jaillit une lumière apaisante. J’ai vue sur le Ravel au loin, des joggeurs retrouvent leur souffle, des vélos traversent l’horizon verdoyant, des familles se promènent.

Une moto de police entre soudainement dans ce champs de vision idyllique. L’agent de police s’assure que personne ne s’arrête, que les groupes d’individus ne se forment pas, ne se parlent pas. Mon paradis se fissure. C’était un leurre. Je ne réfléchis plus, mon ventre et mon cœur sont mis à l’épreuve. Etre privé de liberté, être enfermé, même dans une prison dorée, ne pas pouvoir rendre visite à mes proches,  me sentir criminel à chaque fois que je mets un pied dehors, être à l’affût comme un fugitif. Je touche du bout des doigts cette sensation que je ne connaissais pas. Je ne pensais pas ressentir cela un jour dans ma vie, ni voir une moto de police sur le Ravel d’ailleurs. Et le temps est toujours magnifique. La nature et le printemps, ils se foutent du virus. Leur vie continue comme si de rien n’était.

Le virus met en lumière les sans voix, les invisibles, les oubliés. Les pauvres sont encore plus pauvres, les riches encore plus riches, les exclus encore plus exclus, les personnes seules encore plus seules, les femmes battues encore plus battues, les prisonniers encore plus prisonniers, les malades encore plus malades… l’urgence encore plus urgente. Face à la fenêtre ouverte, je souhaite naïvement que cette lumière ne s’atténue pas après ce confinement mais qu’au contraire, elle s’intensifie.

Simon Fiasse