Pilou-Carmin ?

Compagnie Barbiana
Création professionnelle
/ 2022

Jeu Barnabé COUVRANT, Anne-Laure MOUCHETTE, Anna SOLOMIN
Texte et mise-en-scène Anne-Laure MOUCHETTE
En étroite collaboration avec Anna SOLOMIN et Barnabé COUVRANT
Regards extérieurs Irma MORIN, Pol du BOT

Présentation

Mon grand-père a fait la guerre d’Algérie. Ça, tout le monde le sait, et c’est arrivé à des milliers de jeunes hommes français dans les années 60. Nous sommes nombreux aujourd’hui, à avoir un père, un grand-père qui pendant 2 ans de sa vie, est devenu soldat en Algérie. Mais que nous ont-ils raconté ? Les récits sont fragmentés, toujours incomplets.
Michel Rollot, mon grand-père, en a parlé en 2016, parce que je l’ai interrogé. Ce premier entretien a été un bouleversement. Pour la première fois, je commençais à douter des mots. Des miens, que je réalisais approximatifs et maladroits, par rapport à l’histoire de ce conflit que je ne connaissais
finalement pas bien. Des siens, parce que je visualisais des trous, des manques, des hésitations, des silences qui faisaient bifurquer le récit…comme pour épargner une vérité trop difficile à dire. Une fois exprimée et partagée, qui pourrait l’accepter ?
Mon grand-père, pour moi, c’était un ouvrier à la retraite, ancien combattant, ancien sportif, ancien jeune, ancien tout simplement. Et sa position d’ancien lui donnait la possibilité de regarder la télévision toute la journée et de se plaindre de nombreuses maladies que les médecins n’arrivaient jamais à déceler.
Mon grand-père a toujours souffert, et pour moi, (sans vraiment comprendre pourquoi), toute sa
souffrance s’exprimait dans cette phrase : « Oui mais moi, j’ai fait l’Algérie ».
Parce que quand il prononçait ces mots en plein repas de famille, il était seul, profondément seul, quelque part entre les montagnes des Vosges et celles de Kabylie, entre les années 60 et les années 2000.
Alors quand on a décidé de venir le filmer, avec Tom Durand, un vendredi de décembre 2016, il a accepté. Avec ma grand-mère, ils m’attendaient. Il allait être écouté.
Et comme ça, pendant 4 ans, j’ai posé des questions, et accompagnée d’une formidable équipe, j’ai
pu croiser une recherche théâtrale avec la parole de mon grand-père. Comme la reconstitution impossible d’un récit toujours en mouvement.
Au fil des années, sa vigilance diminuait, et sans le vouloir, sa parole se libérait. Je ne cessais de me rapprocher de ce que peut-être il avait fait, en Algérie. Mais le silence est arrivé, cette fois définitivement. Trop d’années, trop de médicaments… il ne reste alors que les regards.
Le jour des obsèques de ma grand-mère, un homme vient vers moi, il s’appelle Gilbert. Il me dit « Viens à la maison, je te parlerai de ton grand-père, on était ensemble en Algérie. » Alors avec un des comédiens, Lucas Meister, nous y sommes allés. Nous avons écouté cette parole prolifique, précise, directe.
Ce jour là, en sortant de chez Gilbert, j’ai eu mal au ventre, comme une certaine envie de vomir.
J’ai mieux compris ce que ça pouvait vouloir dire, -avoir fait la guerre d’Algérie-.
Et puis, on démarre la voiture, et les mains sur le volant, l’envie nous prend, obstinée, de faire du théâtre. Que nos corps chutent et se relèvent, qu’il s’embrassent et qu’ils racontent, le désir de vie qui les étreint et leur incapacité à entrer dans le rang.

Durée  1 heure + 1 heure d’échange avec le public