L'ange brisé

passeurs d’histoires

Pendant le confinement, les acteurs et actrices du théâtre action continuent à raconter des histoires, à partir d’objets de leur quotidien.

Vous les trouverez sur ce site, et sur la page Facebook du Centre du Théâtre Action.

Bons voyages immobiles!

Présentation

 

L’ange brisé

Confinement. Moments d’anxiété. Le manque des autres. L’inquiétude pour ceux qui s’épuisent à la tâche dans  le quotidien de l’urgence. Pour ceux qui ne peuvent plus respirer. Pour les petits qui devront grandir dans le monde d’après. Moments d’apaisement aussi.  La chance d’avoir un jardin.  Suivre le printemps au jour le jour, voir la tête des salades sortir de terre, contempler la poule qui, imperturbable, couve trois œufs. La joie de réaliser des choses simples qu’on remettait toujours à plus tard, d’écouter et de réécouter  une symphonie aimée, d’écrire à l’ami qu’on avait perdu de vue.

Et puis, soudain, l’ennui nous tombe dessus.

On va jusqu’au bout du jardin sans rien voir, on fait demi-tour, on traverse la cuisine, on passe devant le miroir et on se trouve une sale gueule, on ouvre la porte du frigidaire, on s’affale sur le canapé et on jette un œil mauvais au livre de l’Odyssée qui nous attend pour la suite, on soupire, on en veut au chat qui dort paisible à l’ombre du lilas, on met les infos, on coupe la radio.

Quoi faire ? On n’a rien à faire. Et d’ailleurs, il n’y a rien à faire !

Alors, sans conviction, on va ranger son bureau. On trie les fardes à projets passés, en cours et à venir. On sort les carnets, les vieux agendas, la paperasse jamais classée et tout au fond d’un tiroir, on trouve l’angelot de porcelaine. Incrédule, on le balance au bout du ruban rouge puis on le tient un long moment dans le creux de la main. On est dans la cuisine du grand père. Il y a l’évier, le poêle à charbon, le porte-manteau derrière la porte, au mur, le cadre avec la gravure du pigeon qui a remporté le premier prix, le placard où il y a toujours des boites de sardines et des paquets de chicorée, la table et les quatre chaises, le fauteuil près de la fenêtre, la radio sur l’appui de la fenêtre, le buffet où on range la vaisselle. Dans le tiroir du buffet, quelques trésors, un dé à coudre, une racine de guimauve, un crayon taillé aux deux bouts et l’angelot brisé. Une ancienne décoration de Noël, sans doute. Je ne sais plus à quel moment elle s’est trouvée dans ma poche d’enfant. Une sorte de gri-gri. Confinée depuis, dans les tiroirs qui me suivent.  Et là, c’est aujourd’hui justement,  que l’ange réapparaît. Il lui manque les bras et les jambes mais ses ailes sont déployées… Il semble me rappeler en ce moment d’ennui que l’on peut voyager sans se déplacer d’un pouce. Que notre imagination n’a pas de limite. Que le temps du rêve est à cultiver.

Patou Macaux